L’utilisation de casques de Réalité Virtuelle en cours de langue : une expérimentation avec CANOPE 61


Mme Claire Launay, professeure d’anglais au Collège Jean Racine à Alençon fait partie d’un groupe d’enseignants volontaires, encadrés par l’Atelier Canopé 61, qui expérimentent depuis deux ans des pratiques autour des usages pédagogiques de la réalité virtuelle dans l’enseignement secondaire.

Comment et pourquoi vous êtes-vous lancée dans cette expérimentation ?

En juin 2023, nous avons reçu un mail du CANOPE 61 pour lancer cette expérimentation. J’avais eu l’occasion de tester un casque lors d’un stage sur le thème de la découverte des métiers pour les 3èmes et aussi en privé car un de mes amis travaillait aussi sur ce sujet à la DRANE. J’ai tout de suite pensé à l’idée de « voyager » sans bouger de chez soi, dans un contexte contraint pour l’organisation de voyages à l’étranger. J’ai toujours eu un intérêt pour la technologie, je travaille énormément avec les tablettes et différents logiciels avec les élèves. C’est dans la continuité de ce que je fais en classe.

Comment s’organise cette expérimentation avec CANOPE ?

L’expérimentation s’étale sur deux ans, la première année étant centrée sur la prise en main du matériel et la planification, la deuxième année sur les expérimentations. En octobre 2023, nous avons eu une première réunion. Les réunions ont toujours lieu le mercredi après-midi, soit en présentiel à l’Atelier à Alençon, soit en visio ordinaire, parfois en visio avec un casque. Un casque METAQUEST 2 nous a été confié dès la première réunion et nous avons suivi une formation pour le manipuler, créer un compte sur le casque, télécharger des applis…Depuis, je l’ai toujours. En janvier, j’ai aussi récupéré un METAQUEST 3, plus ergonomique et de meilleure qualité graphique.
Nous avons des réunions régulièrement pour faire état de nos essais, de nos idées et de nos conclusions. Il y a plusieurs enseignants du département : un collègue d’ HG-EMC d’Argentan qui travaille avec le casque en Histoire et pour le certificat de pilote (BIA), une collègue documentaliste de Flers, quelques collègues de Technologie. Tout le monde n’y trouve pas son compte ou n’a pas toujours le temps de faire des recherches. Moi-même j’ai peu progressé depuis février, pour différentes raisons.
Romain Vasnier est le coordinateur CANOPE de cette expérimentation. Si nous le souhaitons, il peut venir en classe nous épauler et cela lui permet aussi de documenter les différentes expérimentations.

Pouvez-vous nous expliquer vos expérimentations ?

L’objectif pour moi était de travailler la description détaillée d’un paysage, d’un endroit, de favoriser la production spontanée d’énoncés sans préparation, tout en faisant voyager les élèves. J’ai fait une première expérimentation en avril 2024 avec des élèves de 4ème sur le thème de l’Irlande. J’essaie de choisir des vidéos statiques. Les élèves doivent donc se retourner et visualiser tous les éléments pour décrire le plus précisément possible. On peut mettre l’image en miroir sur une tablette pour un autre élève : on peut donc potentiellement les faire travailler à deux (turn your head left/right, turn around, I can’t see this, go back there..).

Voici mon bilan :

J’ai effectué une activité similaire avec les 4èmes cette année sur le thème des monuments londoniens, avec moins de soucis techniques :

Ma prochaine expérimentation aura lieu dans les prochaines semaines, à nouveau sur le thème de l’Irlande. Les élèves sont demandeurs.

Vous avez également expérimenté l’utilisation des casques avec des élèves de SEGPA. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En janvier dernier, j’ai fait un test avec une classe de 3ème SEGPA. J’ai travaillé avec l’application MONDLY. Elle est gratuite, ce qui est un point très important. Il y a sept scénarios de conversations et des exercices de répétition-mémorisation de vocabulaire (par thèmes).

Les élèves ont travaillé sur un exercice sur le thème « shopping ». En effet, nous travaillions sur le vocabulaire de la vente. Pour la tâche finale, les élèves devaient jouer le vendeur-client dans l’atelier Vente Distribution Logistique. Il fallait répéter des mots/phrases puis il y avait un quiz. L’objectif était de faire mémoriser le vocabulaire vu en classe et de gagner en aisance à l’oral. L’application ne valide la réponse que si la prononciation est correcte : ce sont des élèves avec de grandes difficultés de mémorisation et d’élocution aussi. Ça les a obligés à répéter le plus correctement possible même si l’application est quand même tolérante.

C’est un groupe assez difficile, avec de gros soucis de concentration et qui a du mal à se mettre au travail. Ce jour-là, les élèves qui avaient le casque ont vraiment travaillé et parlé anglais en continu, ce qui est assez rare. Ils ont parlé anglais, ont soigné leur prononciation et ça pendant bien plus de temps que d’habitude. Ils n’étaient pas perturbés par les autres, ils étaient dans leur bulle. La VR offre une obligation de concentration impossible à reproduire avec autre chose. Par contre le reste de la classe était trop déconcentré et "frustré". Il faudrait au moins 5/6 casques pour une classe de SEGPA pour permettre un travail à deux efficace. Mes collègues de SEGPA aimeraient aussi travailler avec la VR dans le cadre de l’atelier Vente Distribution Logistique ou la découverte des métiers.

Pourrez-vous garder les deux casques après l’expérimentation ? Pourrez-vous avoir davantage de casques, puisque cela semble être nécessaire ?

Les casques sont à l’atelier CANOPE. Si l’expérimentation s’arrête, je devrai rendre les casques. On a la possibilité de les rendre en juillet chaque année ou pas. Je travaille près de l’atelier CANOPE donc pour moi c’est facile de les déposer là-bas et de les récupérer. Ça peut être intéressant pour les mises à jour ou les soucis techniques.

Au collège je suis pour l’instant la seule à les utiliser. Quelques collègues s’y sont intéressés mais n’ont pas forcément trouvé d’applications correspondant au niveau collège ou ont un peu peur du côté technique. En Arts plastiques, mon collègue a débuté cette année le concept de galerie virtuelle pour les élèves. Je lui ai indiqué qu’avec les casques, on pouvait visiter ces galeries comme dans un vrai musée. Nous avons pour objectif de faire des tests pour peut-être travailler plus en collaboration l’année prochaine. Pour l’instant, et comme souvent, l’aspect technique est un frein car je n’arrive pas à accéder à ses galeries virtuelles via le casque.

Que pensent vos élèves de l’utilisation des casques en cours d’anglais ?

Les élèves sont globalement enthousiastes. C’est tout nouveau, même dans leur vie personnelle. Les 4èmes ont réclamé de refaire une session de visionnage vidéo/devinette. Je n’avais pas recommencé depuis février car c’est contraignant niveau matériel et réseau, toujours pour des raisons d’absence de prises ou de réseau qui ne fonctionne pas. Par contre, certains sont vraiment perturbés par la sensation et cela les a bloqués dans la prise de parole. Je pense que c’est une question d’habitude et de prise en main, même pour moi.

Il est peut-être encore trop tôt, mais quelle(s) conclusion(s) pouvez-vous tirer de l’utilisation des casques en classe ?

Pour l’instant, et pour ma part, je suis vraiment dans le test. J’y vais tout doucement, car il y beaucoup de contraintes techniques qui rendent la moindre activité assez chronophage. Cela induit aussi une certaine excitation et/ou frustration chez les élèves.

La prise en main à elle seule demanderait une séance dédiée sans objectif linguistique. Il faudrait établir un tutoriel pour les élèves, à faire en début d’année, potentiellement avec le professeur documentaliste. Cela permettrait de fluidifier ensuite les exploitations pédagogiques en rendant les élèves autonomes. C’est ce que j’ai fait avec les tablettes quand je suis arrivée dans mon collège il y a 4 ans. Maintenant il n’y a quasiment plus besoin d’aider les élèves, ils savent utiliser l’outil.

Un autre frein, plus gênant, sont les comptes utilisateurs. Les Metaquest sont gérés par un compte META, donc au niveau réglementation et données, ce n’est pas RGPD. Chaque casque doit avoir un compte distinct et les applications doivent être achetées pour chaque casque. Pour l’instant, il n’y a pas ou peu d’applications adaptées pour un usage en classe, avec par exemple une application qui serait utilisable par huit comptes gratuitement. De plus, elles sont peu personnalisables, donc il faut s’adapter.
On peut avoir accès aux sites internet sur le casque mais du coup le coté VR n’est pas utilisé. On a seulement le bénéfice de la « bulle » de concentration.

La motivation est le premier bénéfice. Cela permet de varier les outils et de dynamiser le cours, les apprentissages, de toucher des élèves parfois démotivés ou décrocheurs. C’est l’effet de nouveauté, à voir sur la longueur. Cela pourrait potentiellement permettre à des élèves de travailler en autonomie sur des thèmes précis, pour différencier en classe (élèves dys, allophones, en décrochage…).

En ce qui concerne la plus-value pédagogique, je dirais que les casques permettent une découverte et une ouverture sur le monde et renforcent l’ouverture culturelle (visite de musée par exemple). Cela permet aussi un travail interdisciplinaire : par exemple les élèves pourraient produire des capsules pour expliquer leur choix artistique dans le cadre de la galerie virtuelle.

D’un point de vue langagier, les applications qui travaillent le vocabulaire et la phonologie permettent à l’élève d’améliorer sa prononciation : il n’a pas le choix pour avancer dans l’exercice.

Selon moi, la plus-value pédagogique pourra évoluer en même temps que les évolutions des applications. Mon « rêve » ce serait une application de conversation en direct, basée sur une IA qui répondrait à l’élève par rapport à ses prises de parole, sur des thèmes donnés par exemple. Mais ces applications n’existent pas encore.

Aujourd’hui, c’est une technologie en développement qui s’inscrit plus dans le récréatif que l’éducatif mais il ne tient qu’aux enseignants de s’en saisir et de pousser les éditeurs à développer des applications plus éducatives. Mais cela prendra probablement du temps.

Y a-t-il une suite de prévue après ces deux années ?

Oui, l’expérimentation continue, le conseil départemental veut savoir s’il doit investir dans des mallettes de casques VR et attend donc de voir ce qu’on en fait. L’atelier CANOPE vient d’obtenir une valise de 8 casques VR Metaquest 2 pour tester en groupe en classe. Pour l’instant, on ne peut pas l’emprunter car il faut gérer toute la partie réseau/compte du casque mais en septembre ce sera possible.

J’aimerais beaucoup avoir un casque en continu dans ma salle où les élèves pourraient faire des exercices en autonomie, pour les plus rapides par exemple. Mais pour l’instant, je n’ai rien pour brancher un casque dans un coin et ma salle est petite et peu adaptée. Notre collège déménage en novembre dans des locaux flambant neufs, avec du mobilier modulable. J’ai bon espoir de créer un espace VR dédié.

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