Qu’est-ce qui vous à amenée aux débats mouvants ?
Le dialogue apparaît majeur pour l’acquisition et la construction de compétences linguistiques. Mais à cette dimension linguistique s’ajoute un autre enjeu : le développement de l’esprit critique de nos élèves.
En effet, à l’heure de l’intelligence artificielle, il semble nécessaire de souligner que la classe de langue permet de former des citoyens éclairés qui puissent utiliser le langage pour penser.
Mais de quel dialogue parle-t-on ? Comment rendre l’échange signifiant et authentique pour l’élève ?
Sebastien Pesce identifie et différencie ce qui relève du dialogal et du dialogique. Le dialogal correspond à l’enchaînement des discours d’un nombre indéterminé d’interlocuteurs qui se répondent en quelque façon que ce soit. Le dialogique, quant à lui, s’appuie sur l’hétérogénéité des voix dans le discours prononcé par la communauté.
Ces deux notions m’ont amenée à me questionner sur la manière de mettre en œuvre les échanges dans mes cours et plus spécifiquement dans les phases de débats et de discussion en classe.
S’il est désormais clair que l’interaction et le dialogue doivent être au cœur de l’enseignement apprentissage des langues, il n’est pas toujours si facile de sortir de pratiques ou de discours monologiques.
Comment tenir vraiment compte de la pluralité des voix qui coexistent dans nos classes et embrasser pleinement l’approche actionnelle qui fait de nos élèves des individus qui s’autorisent à être critiques et à s’émanciper ?
Qu’est-ce qu’un débat mouvant ?
Jusqu’à il y a quelques années, pour moi, faire un débat en classe de langue consistait à faire deux équipes de 4 ou 5 élèves et à les faire s’affronter sur un sujet après avoir tiré au sort quelle position chaque équipe allait défendre. En académie, les débats en langue étrangère étaient d’ailleurs organisés selon ce mode opératoire.
Lors d’une formation commune avec l’OCCE, j’ai découvert le débat mouvant. Il consiste à délimiter dans l’espace de la classe une rivière du doute (deux tables peuvent suffire). De chaque côté, et après s’être mis en ligne (starting point) afin de prendre le temps de réfléchir et de pondérer leur opinion, les élèves se positionnent selon leur conviction (AGREE/ DISAGREE) par rapport à leur réponse à la question de départ. Plus les élèves s’éloignent de la rivière du doute, plus ils expriment un point de vue assumé, une certitude quant à la manière de répondre à la question soulevée.
Durant le débat, tous les élèves ont la possibilité de bouger et de changer de place. S’ils bougent, ils est attendu d’eux d’expliciter au groupe la raison de leur mouvement.
Ce type d’activité développe 3 caractéristiques du dialogisme et met en jeu de manière métaphorique les enjeux de l’esprit critique.
Quel est l’objectif d’un débat mouvant ? Comment le préparer avec les élèves ?
Lors des débats mouvants l’objectif annoncé est de chercher à construire, au travers des actes de parole, une réflexion qui vise la recherche d’une forme de vérité en s’appuyant sur un raisonnement solide, une pensée rationnelle dépassant le système heuristique. Il s’agit donc de proposer une phase d’enquête. Celle-ci ne doit pas être superficielle et il faudra donc que l’enseignant veille à proposer un sujet choisi avec minutie afin de permettre l’élan. Le débat doit être préparé, que ce soit en termes de contenu mais aussi en termes de langue. Les élèves doivent avoir répété, conscientisé en amont certaines règles telles que les terminaisons contraignantes pour pouvoir transférer leur compétence avec conviction et c’est cette envie de partager qui va permettre l’interaction nécessaire à l’entraînement des compétences linguistiques. Ainsi, les élèves vont devoir tenter de persuader les autres. Ici persuasion s’entend dans le sens épistémique du terme. Il s’agit bien de s’assurer que ce qui est échangé et pensé soit fondé sur des éléments solides, raisonnables. La mise en valeur de la démarche scientifique pour prendre des décisions semble ici majeure afin de permettre aux élèves de mieux envisager la manière de se forger des pensées personnelles. En ce sens, un travail sur la fiabilité des sources, l’expression d’arguments chiffrés et référencés semble indispensable. L’objectif étant ici de séparer le savoir du croire.
Comment se conclut un débat mouvant ?
Le feed-back proposé suite au débat fait partie intégrante de l’activité et permet un retour dialogué qui doit aboutir à la prise de conscience des élèves de la manière dont ils se sont parlés, il permet de poursuivre la construction du savoir avec l’enseignant et d’améliorer la métacognition des élèves qui comprennent mieux leur propre manière de penser. Ce temps peut également être associé à un temps de travail sur les arguments fallacieux afin d’amener les élèves à identifier les raisonnements erronés voire manipulateurs. Aussi, une évaluation dialoguée écrite pourra être proposée aux élèves afin de questionner leur prestation en fonction de critères co-construits en amont.
Quels sont les bénéfices des débats mouvants pour les élèves ?
L’avantage principal du débat mouvant est qu’il met en jeu le corps et qu’il met en espace l’idée même d’esprit critique et de la dimension dialogique de la pensée humaine. En effet, lorsque les arguments sont persuasifs, et donc pertinents, les élèves ont la possibilité de se déplacer. Cette possibilité permet de mettre en évidence la capacité de se laisser transformer par la pensée des autres lorsqu’elle est fondée en raison. L’objectif est d’accepter que nous sommes parfois victimes de biais ou d’effets tels que le biais de confirmation ou l’effet cigogne qui nous empêchent d’accéder à une pensée cohérente. La parcimonie et la suspension temporaire du jugement sont des éléments à travailler avec nos élèves. Le retour à la ligne avec une minute pour réfléchir avant d’aller se positionner physiquement et de manière finale permet à certains élèves de modifier leurs position jusqu’au dernier moment pour ceux qui n’auraient pas osé.
Quelles sont les autres compétences développées par les élèves grâce à cette pratique ?
Au sein du débat et du dialogue, des idées antagonistes vont entrer en conflit mais l’objet d’un débat mouvant n’est pas de considérer la parole de l’autre comme étant une pensée en compétition avec la sienne. On pourra, au contraire, encourager la prise de parole de chacun en valorisant la prise de parole de tous les élèves à travers un critère visant à faire du groupe une équipe plutôt que des concurrents. L’objectif ici est de s’éloigner d’un schéma de débat où les élèves ont préparé des arguments et réfutent systématiquement voire méprisent tout positionnement contraire au leur. Ce type de débat vise à donner à chacun une place et encourage les élèves à prendre leur place dans les échanges et à exprimer leurs idées afin de pouvoir les confronter aussi au questionnement et aux arguments des autres. Se mettre à la place de l’autre, respecter la différence de perception pour justifier avec respect et bienveillance son désaccord ou son accord avec l’autre sont des enjeux majeurs. Il s’agit de ne pas disqualifier moralement celui qui ne pense pas comme moi et de comprendre la force de l’intelligence collective dans une société de plus en plus polarisée. Ne pas se taire, éviter le biais de conformisme et appréhender la divergence de points de vue fait partie des compétences à travailler au sein de nos classes.
De plus, ces échanges empathiques impliquent des efforts de la part des élèves pas uniquement pour comprendre ce qui est dit mais aussi pour se faire comprendre et se rendre intelligible pour les autres ; Grégory Miras (université de Lorraine) insiste sur le fait que celui qui produit est aussi responsable de la communication que celui qui reçoit. Le dynamisme collectif comme critère d’évaluation permet de mettre en valeur ces efforts à se rendre intelligible pour permettre la pensée.
Conclusion
Le débat mouvant met donc en lumière le dialogue comme mise en mouvement des élèves en tant qu’apprenants de langue mais aussi en tant que citoyens. Le débat met en espace la construction de cet esprit critique et permet la mise en place d’un espace épistémique commun où l’on peut échanger, se contredire et construire collectivement un savoir scientifique et raisonnable. En ce sens, il me semble être une activité riche et à développer au sein de nos classes de langues vivantes.
Sources :
Mettre en pratique la grammaire de l’oral : https://www.fdlm.org/blog/2020/04/16/mettre-en-pratique-la-grammaire-de-loral/
Pesce.S (2014) Rhétorique du dialogisme : épistémologie, éthique et organisation de l’interaction
dialogique dans la classe. Ela. Etudes de linguistique appliquée, 173 (1), 99-108.
https://doi.org/10.3917/ela.173.0099
Site de l’ALOES : https://aloes2025.sciencesconf.org/