Construire une grammaire de l’oral : l’exemple du talk-show


Comme chaque année impaire, l’ALOES (Association des Anglicistes pour les Études de Langue Orale dans l’Enseignement Supérieur, Secondaire et Primaire) organise une journée d’étude dédiée à l’enseignement. L’ALOES regroupe des enseignants français spécialisés dans la langue orale anglaise, exerçant dans divers niveaux d’enseignement, allant des écoles primaires et maternelles aux collèges, lycées, universités et grandes écoles.
La thématique choisie pour 2025 était « L’anglais oral en classe au XXIe siècle : normes et pratiques ». Le colloque s’est tenu à Rouen, à l’Université de Rouen-Normandie et à l’INSPE, les 28 et 29 mars derniers.
Loan Simon Hourlier, professeure au Collège Lycée Expérimental d’Hérouville-Saint-Clair, enseignante à l’INSPE et formatrice ainsi que Séverine Vivier, professeure au lycée Millet à Cherbourg-en-Cotentin et également formatrice sont toutes deux intervenues lors de ce colloque afin d’analyser les activités de débats qu’elles mènent avec leurs élèves.
Cet article est consacré à l’intervention de Séverine Vivier et développe l’activité du talk-show. Vous pouvez retrouver l’exemple des débats mouvants et l’analyse de Loan Simon Hourlier dans l’article intitulé Le débat mouvant pour une formation à l’esprit critique en classe de langue.

Introduction

Quel était l’objet de votre intervention et pourquoi ?

Avec Loan Simon Hourlier, nous souhaitions mettre en avant comment nous pouvons développer la capacité des élèves à produire des interactions orales signifiantes et citoyennes à travers des activités de débats. En effet, nos élèves vivent dans un monde où l’information est accessible en un clic et est souvent présentée de façon assez binaire. Parallèlement, pour comprendre le monde dans lequel ils ont envie de s’insérer nos élèves aiment et ont besoin de dialoguer. Le dialogue fait partie de leur vie quotidienne, Ils échangent entre eux et avec les adultes qui les entourent. Le cours de langue nous semble être un lieu privilégié où l’élève peut et peut-être doit apprendre comment faire partie de la conversation de manière signifiante, comment y contribuer.

Ce constat nous a conduit à réfléchir à la notion de dialogisme et nous a amené à la question suivante : comment le dialogisme, la situation de communication qu’il implique ainsi que le choix d’éléments linguistiques adéquats permet-il de faire progresser le discours des élèves en classe de langue ? Comment mettre l’accent sur l’articulation langue/discours oral et sur l’articulation situation de communication/ langue ? Comment évaluer ces interactions ? A travers la présentation de deux exemples de deux pratiques pédagogiques, le talk-show et le débat mouvant, nous avons souhaité questionner la place de la grammaire de l’oral dans la construction d’une interaction signifiante ainsi que la façon dont cette dernière permet la construction de l’esprit critique des élèves.

Le projet

Pouvez-vous nous présenter votre projet ?

J’ai mené cette séquence intitulée « Wales Goes Green » dans deux classes de seconde. La problématique était la suivante : “to what extent can a small nation, like Wales be at the forefront of sustainable development ?” La tâche finale était un talk-show (un débat un peu informel, que l’on pourrait voir à la télévision, entre plusieurs élèves qui ont chacun un rôle à jouer) et était libellée ainsi : « a talk-show about sustainable development in Wales ».

Quels étaient vos objectifs ?

Mes objectifs étaient les suivants :

J’avais noté que les élèves ont souvent peur de ne pas finir leurs phrases, ne se l’autorisent pas et c’est un frein à la prise de parole spontanée des élèves.

Quels documents avez-vous choisis ?

J’ai choisi des documents qui nourrissent tous la compétence culturelle et lexicale :
 deux documents (un site officiel et une vidéo) qui présentent le Pays de Galles en tant que premier pays à avoir nommé un « Future generations Commissioner » (présentation et rôle)
 l’ensemble est ensuite précisé dans un article issu d’internet qui explique la démarche (un débat national qui aboutit à une loi en 2015)
 une infographie du Guardian qui précise la situation environnementale du Pays de Galles (pollution, faune, flore…)
 une deuxième vidéo : l’extrait d’un entretien entre un journaliste et Greta Thunberg sur un plateau de télévision. Il ne s’agit plus du Pays de Galles mais l’objectif était grammatical : repérer la forme orale de la langue dans ce type de situation et montrer comment la pensée et l’énonciation sont quasi simultanées, ce qui amène une langue grammaticalement plus « relâchée », plus « hasardeuse »

Mon objectif en choisissant ces documents était de développer une prise de parole efficace, convaincante et signifiante et ce, en plusieurs étapes.

La démarche

Quelle a été la démarche que vous avez mise en place ?

Il a tout d’abord fallu établir un diagnostic. Les élèves ont cherché des arguments et se sont lancés dans un premier débat avec quatre rôles différents :
an activist – a scientist – a climate denier – an economist
C’était une activité difficile mais j’ai expliqué aux élèves que l’objectif était de repérer leurs difficultés afin de pouvoir y remédier. Les élèves ont quant à eux exprimé leur ressenti après ce premier débat : ils ont noté le manque de lexique, la difficulté à avoir un bon accent, la difficulté à échanger réellement, à débattre vraiment.

Mon objectif pour l’étape 2 était de sensibiliser les élèves à l’accent de phrase. J’ai choisi un document assez didactique qui se prête bien au repérage de l’accent de phrase, une vidéo au cours de laquelle Sophie Howe présente son rôle et son projet.
La compréhension de l’oral s’est menée et s’est construite grâce aux mots accentués. Les élèves ont repéré l’accent de phrase et nous avons utilisé le corps, les battements des mains, pour marquer l’accent. S’en est suivie une réflexion sur la langue, sur les mots porteurs de sens (formes fortes et formes faibles). Puis les élèves se sont entraînés à partir d’un script puis de courtes phrases apprises par cœur. Ils ont répété ces phrases individuellement puis de manière chorale. Il a été ensuite nécessaire de réactiver et de réinjecter cette activité dans d’autres activités orales de la séquence.

Dans un troisième temps, il était nécessaire de sensibiliser les élèves à la syntaxe du dialogue. J’ai choisi une vidéo qui permettait de rebrasser le travail sur l’accent de phrase.
Deux extraits de la vidéo ont fait l’objet d’une compréhension orale. Les élèves ont pu repérer ce qui fait la particularité de la syntaxe dans ce type de situation, notamment en établissant des comparaisons avec la première vidéo dans laquelle le discours oral était plus formel et la prise de parole très préparée. Les élèves ont pu mener une réflexion sur la langue grâce au relevé des hésitations, des répétitions, des gap-fillers (You know…, I mean…), des phrases interrompues, des reformulations.
Les élèves ont compris qu’ « on a le droit » d’avoir un discours moins formel car la pensée et l’énonciation sont quasi simultanées. La situation d’énonciation autorise une syntaxe plus relâchée car les locuteurs ne savent pas ce qu’ils vont dire ensuite.

A la fin de cette troisième étape, les élèves avaient à présent des outils pour une expression orale porteuse de sens : ils s’autorisaient à réfléchir en parlant et savaient comment utiliser l’accent de phrase pour convaincre.

Comment avez-vous entraîné et préparé les élèves à la tâche finale ?

Les élèves ont tout d’abord fait un brainstorming pour mettre en commun leurs connaissances sur comment on peut exprimer son opinion. Ils ont créé un mémo qu’ils pouvaient avoir sur la table pendant les débats afin de ne pas ajouter de difficultés à l’exercice.

Ensuite les élèves ont joué en petits groupes à un jeu de cartes sur lesquelles se trouvaient les indications suivantes : illustrate / new argument / reformulate / contradict. J’ai proposé plusieurs sujets de débats : "Planes should not be allowed to fly" - " Cars should be forbidden in city centers" - "Greta Thunberg is a heroine".
Dans ce jeu un élève lance un premier argument. Les autres élèves doivent retourner une carte et répondre en fonction de la consigne donnée. C’était l’occasion pour eux de s’entraîner à gérer la difficulté liée à l’improvisation.

Enfin, nous avons procédé à la répartition des rôles du talk-show et à la recherche d’arguments en groupes d’élèves ayant le même rôle. Un groupe d’élèves volontaires ont participé à un premier débat non noté et ont ensuite piloté et soutenu leurs camarades pendant les entraînements.
La séquence s’est terminée par l’évaluation de la tâche finale.

Le bilan des élèves

Les élèves ont exprimé ressentir une pression, par peur de l’erreur :
« Lors du premier débat, j’avais tellement peur de me tromper que je n’ai pas osé parler. Grâce au travail sur l’accent de phrase et aux entraînements en petits groupes, j’ai pris confiance et j’ai gagné en motivation. »
« J’ai pu sortir de la pression, me libérer de ce poids. »

Les élèves ont également mis en avant l’importance des notes et de la spontanéité lors d’un débat :
« Lors du premier débat, j’étais moins libre et plus proche de mes notes. Le deuxième débat était beaucoup plus fluide. Une fois lancés, c’est facile, ça roule. »
« Pour le premier débat, j’avais des phrases écrites toutes faites, c’était impossible de rebondir et l’accent n’avait pas été travaillé. Pour le deuxième débat, j’avais pris des notes et donc c’était plus vivant. Il y a eu une grande évolution donc je suis fière. »
« Débattre devient plus spontané. J’arrive à me lancer sans avoir réfléchi à la fin de mes phrases et je peux rebondir sur ce qui a été dit. »
« Parfois les phrases sont mal dites mais elles restent compréhensibles. Ce point n’est pas mortel. »

En ce qui concerne l’accent de phrase, le bilan est plus mitigé :
« J’utilise plus l’accent de phrase mais ça reste encore compliqué ».
« J’ai mieux compris à quoi il servait donc je sais mieux l’utiliser. »
Un élève qui regarde beaucoup de vidéos en VO et qui a des contacts avec le Royaume-Uni nous dit : « Je le fais naturellement, je n’ai jamais vraiment appris, je l’ai intégré ».
Beaucoup d’élèves ont la même opinion : « je n’y pense pas quand je parle, je ne crois pas y arriver ».
Il apparaît donc nécessaire d’entraîner davantage les élèves à l’accent de phrase.

La conclusion de l’enseignante

Pour revenir à l’idée d’une prise de parole signifiante, pour pouvoir interagir efficacement, les élèves doivent se sentir libres de le faire, doivent percevoir la spécificité de la situation d’interaction et sortir du carcan de l’écrit. Parallèlement à ça, ils doivent aussi prendre conscience de l’importance d’utiliser l’accentuation et l’intonation (même si cette dernière n’est pas travaillée ici) pour véhiculer du sens, pour donner plus de poids à leurs mots.

Site de l’ALOES : https://aloes2025.sciencesconf.org/

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