Favoriser la production écrite des élèves avec l’IA


Cet article a été écrit dans le cadre du PCDN (Pôle de Compétences Disciplinaires Numériques) qui a réfléchi cette année aux usages de l’IA en cours d’anglais. Loan Simon Hourlier, professeure au Collège Lycée Expérimental d’Hérouville-Saint-Clair et membre du PCDN partage son expérimentation et son analyse.
Pour plus d’informations concernant le contexte des expérimentations menées, vous pouvez consulter l’article intitulé « Les expérimentations du pôle disciplinaire de compétences numériques (2024-2025) : comment favoriser le développement des compétences grâce à l’IA ? »

Dans quel cadre avez-vous pu expérimenter l’IA en cours de langue ?

Mon questionnement était le suivant : est-ce possible, et dans quelle mesure les élèves de lycée sont-ils capables d’utiliser cet outil de manière autonome et constructive ? L’expérimentation a été menée avec une classe de Première, dans le cadre d’une séquence sur la mode. La tâche finale consistait en un débat mouvant autour des enjeux liés à la mode.

Pouvez-vous nous expliquer votre expérimentation ?
Avant de débuter l’exercice, une phase de sensibilisation à l’intelligence artificielle a été organisée. Par groupes, les élèves devaient identifier deux avantages et deux inconvénients de l’usage de l’IA à l’école, avant une mise en commun animée par un élève.
Voici la trace écrite de ces échanges :

Les élèves ont ainsi montré une réelle conscience des enjeux liés à l’intelligence artificielle et ont su en cerner les principales problématiques.
Après cette sensibilisation, la classe a été divisée en deux groupes :
 Un groupe en autonomie, autorisé à utiliser l’IA (7 élèves).
 Un groupe avec l’enseignant en posture d’accompagnement, sans recours à l’IA (7 élèves)
Dans un troisième temps, les élèves ont eu 45 minutes pour rédiger un court essai sur le thème suivant :
"Fashion is one of the most powerful tools for self-expression and identity building."
Cet essai, proposé deux séances avant la tâche finale, avait un double objectif : préparer linguistiquement et culturellement les élèves au débat final et les entraîner à l’épreuve de fin de semestre, notamment pour les élèves sans moyenne significative. Cette évaluation pouvait permettre de valider un contrôle continu ou d’obtenir un bonus.

Quels étaient les enjeux de cette séance ?

L’objectif principal était d’observer l’usage de l’IA par les élèves et de déterminer si cet outil pouvait les aider à progresser en production écrite. Il s’agissait également de mieux identifier leurs besoins pour leur permettre, à terme, d’utiliser l’IA de manière autonome et pertinente.

Avez-vous imposé un outil particulier ?
Fait intéressant : lors de la constitution des groupes, j’ai demandé aux élèves si certains ne se sentaient pas capables d’utiliser l’IA. Aucun ne s’est manifesté. J’ai donc pu organiser les groupes comme prévu, en fonction des profils.
Tous les élèves du groupe expérimental sans exception ont utilisé chat GPT alors même que je n’avais donné aucune consigne particulière sur l’outil à utiliser. Cela révèle une utilisation habituelle de Chat GPT de la part des élèves, qui corrobore le résultats des enquêtes et études menées sur les usages de l’IA chez les jeunes.

Qu’avez-vous pu observer lors de cette expérimentation ?

Tout d’abord, les élèves se sont mis au travail de manière efficace et impliquée avec l’intelligence artificielle. L’utilisation de l’IA n’a pas créé de problématique de concentration et ils se sont comportés avec sérieux sans que l’outil ne vienne impacter nos habitudes de travail.

Deux cas particuliers ont néanmoins retenu mon attention :
 Un élève du groupe IA a commencé à rédiger son texte en français, comptant sur l’IA pour effectuer la traduction. J’ai dû lui rappeler que l’exercice visait un échange en langue cible, tout comme les élèves du groupe contrôle échangeaient avec moi en anglais. Ce comportement révèle une tendance à rechercher un résultat final sans prendre en compte l’objectif d’apprentissage. Il nous rappelle l’importance de sensibiliser les élèves à la valeur du processus, de l’erreur et de l’entraînement. Cette question dépasse le seul cadre de l’IA : elle interroge nos méthodes pédagogiques et la place accordée à la formation méthodologique et à l’autonomie.
Un échange lors du conseil de classe a permis de discuter de ces points avec l’élève et de lui proposer des pistes pour progresser à moyen et long terme. Ce type de situation souligne la nécessité d’un travail collectif avec les professeurs principaux pour aider les élèves à se construire des habitudes de travail plus efficaces et plus conscientes.
 Un élève du groupe contrôle a été surpris en train d’utiliser DeepL, sans réaliser qu’il utilisait un outil basé sur l’IA. Cet épisode met en lumière un déficit de compréhension des différents types d’intelligences artificielles. Un travail pédagogique sur la nature et le fonctionnement de ces outils serait utile pour les aider à mieux les exploiter.

Quels sont les résultats que vous avez pu extraire de cette expérimentation ?

Il est important de noter que, malgré la phase de sensibilisation et les consignes explicites de ne pas « faire faire à l’IA », la majorité des élèves ont eu des échanges très brefs avec l’outil. Beaucoup n’ont pas su obtenir des retours pertinents sur le plan linguistique, méthodologique ou culturel.
Deux élèves sur sept ont manifestement été sensibilisés à des stratégies de type CRAFT pour rédiger des prompts efficaces.
Voici un exemple :

La méthode CRAFT s’appuie sur 5 éléments :

 le Contexte : l’élève explique que la tâche est à effectuer dans un cadre scolaire et donne même le niveau du CECRL attendu. Cela permet à l’IA de connaître le niveau d’anglais visé.

 le Rôle de l’IA : l’élève demande à l’IA de modifier son essai, même si ce n’est pas formulé directement, on comprend que l’IA joue le rôle d’un assistant pédagogique ou relecteur : elle doit guider la reformulation de l’essai en suivant une structure précise. Une piste d’amélioration aurait été de préciser ce rôle : « You are an English teacher helping students to improve their writing ».

 l’Audience : l’élève explique qu’il a un travail imposé dans le cadre scolaire à faire en classe de 1ère, ce qui invite l’IA à adapter un style formel.

 le Format : l’élève redonne la méthodologie travaillée en classe. Le format est clairement décrit. On demande une réécriture structurée d’un essai argumentatif selon le schéma typique attendu au lycée : introduction / développement en deux parties / conclusion.

 la Tâche : ici, la tâche est clairement explicitée (« you will have to modify my essay »).

Voici la réponse de l’IA que l’élève reprendra sans aucun changement si ce n’est le retrait des titres.

Ce résultat peut venir confirmer nos interrogations quant aux bénéfices de l’utilisation de l’IA. Quel que soit le profil des élèves, et même ceux qui paraissent en faire un usage raisonné, ils ont tendance à s’appuyer de manière trop directe sur les conclusions fournies par l’IA.
Cette expérimentation nous incite donc à réfléchir à la manière de développer chez les élèves une vision critique du travail de l’IA et à leur apprendre à l’utiliser comme un outil d’aide à la progression et non comme une solution toute faite.
Deux élèves ont su s’appuyer sur l’IA de façon comparable à l’accompagnement proposé par un enseignant. En effet, dans le cadre de la phase d’amélioration de la production écrite, l’enseignant engage un dialogue individuel avec chaque élève, en anglais, afin de l’aider à améliorer sa rédaction. Les erreurs grammaticales récurrentes sont identifiées et l’élève est encouragé, si possible, à formuler lui-même la règle qu’il n’a pas appliquée.
Voici un exemple de ce que des élèves du groupe contrôle ont pu noter à la suite d’un échange avec l’enseignant :

Trois élèves sur le groupe de 7 sont parvenus à obtenir un résultat similaire avec l’IA, sans aide de l’enseignant.
Ci-dessous l’échange de l’élève 1 avec l’IA :

Quelle est votre analyse concernant cet échange ? Et quels enseignements en retirez-vous ?
Cet échange nous permet de voir que, lorsque les élèves respectent et appliquent la consigne de ne pas laisser l’IA faire le travail à leur place, les résultats peuvent être particulièrement riches et constructifs. En effet, l’élève bénéficie ici d’un feedback sur sa production sur plusieurs axes :

 Les objectifs pragmatiques :
L’IA est capable de mettre en évidence les points forts dans l’application de la méthodologie de l’essai, tout en proposant des axes de progrès. Dans cet exemple, un travail sur les transitions est suggéré.

 Les objectifs linguistiques :
Les erreurs de structure sont clairement identifiées, ce qui permet à l’élève de prendre conscience de ses erreurs et de la manière de les corriger. Le fait que l’IA se concentre uniquement sur six points à corriger est particulièrement pertinent : la notion de « key grammar changes » évite à l’élève d’être submergé par un trop grand nombre de corrections, ce qui nuirait à la mémorisation. On pourra envisager une trace écrite systématique dans le cahier, afin de permettre aux élèves de mieux s’approprier ces éléments clés à moyen et long terme.
Le retour fourni par l’IA est parfois même plus détaillé que ce qu’un enseignant en posture d’accompagnement peut offrir. En effet, l’enseignant doit gérer l’ensemble du groupe et ne peut pas toujours consacrer le temps nécessaire à chaque élève. L’écueil consiste alors à se concentrer sur les élèves les plus demandeurs ou en difficulté, au détriment des élèves plus discrets ou de ceux perçus comme performants — qui ont pourtant, eux aussi, besoin de retours pour continuer à progresser. Lors de l’expérimentation, je ne suis ainsi pas intervenue auprès d’un élève du groupe témoin, qui aurait pourtant bénéficié d’un regard critique sur la méthodologie et la langue.
L’utilisation de l’IA ouvre ici des perspectives intéressantes dans le cadre de la différenciation pédagogique au moment des phases d’entraînement ou de remédiation de la production écrite.

 Le contenu culturel :
Les références culturelles mobilisées par l’élève sont mises en valeur mais l’IA l’encourage également à approfondir ses analyses et à les relier plus étroitement au sujet traité. Dans cette optique, il faudra, là encore former les élèves à poser les bonnes questions et à bien cerner les attendus afin de rédiger des prompts pertinents. Une élève (élève 2) très à l’aise dans la classe a ainsi su enrichir culturellement son essai en posant la question suivante :

Voici la réponse fournie par l’IA :

On remarque que, dans le cadre d’une préparation à un autre essai ou à un débat, les données fournies par l’IA s’avèrent particulièrement efficaces. Elles reprennent certains éléments déjà abordés dans la séquence et en introduisent de nouveaux. De plus, les sources étant mentionnées, l’élève a la possibilité de vérifier les informations ou de consulter les documents d’origine afin de juger de leur fiabilité et, le cas échéant, d’enrichir ses connaissances.
Ici, on constate qu’une bonne utilisation de l’IA permet à l’enseignant de consacrer davantage de temps aux élèves ayant des besoins spécifiques, tout en offrant aux autres un retour riche, structuré et vérifiable. Il apparaît donc que la capacité à utiliser l’IA de manière constructive et réfléchie devra faire partie des nouvelles compétences à développer et à évaluer. Dans ce cadre, l’expérimentation met en lumière la nécessité de travailler plusieurs compétences clés :
 Être capable de formuler des prompts efficaces pour permettre aux élèves d’obtenir des réponses qui mettent en évidence leurs erreurs, leurs points forts, et leurs marges de progression.
Il pourrait être intéressant de constituer, avec les élèves, une banque de prompts élaborés en amont, afin de les aider à formuler des requêtes précises et adaptées aux travail d’entraînement.
 Être capable de corriger un texte en s’appuyant de manière critique et éclairée sur les suggestions de l’IA.
Voici une proposition de grille d’évaluation qui pourrait être proposée dans le cadre de ce travail de production écrite :

La comparaison entre le texte initial et le texte corrigé semble être un bon levier pour favoriser la progression en production écrite. Par ailleurs, tout le travail autour d’une utilisation efficace et éthique de l’IA paraît essentiel si l’on souhaite l’intégrer comme outil de différenciation pédagogique en classe.
Un accompagnement structuré autour de cet outil pourrait permettre de réduire les inégalités d’usage à la maison et d’éviter que les élèves en difficulté ne tombent dans le piège du simple « faire faire ». Une fois formés, les élèves pourront bénéficier de retours personnalisés via l’IA, ce qui facilitera une individualisation plus fine des apprentissages, prenant en compte la diversité des profils d’une même classe, le rythme de travail des élèves et leur niveau d’autonomie.
Il est important de rappeler que l’autonomie ne signifie pas seulement produire seul, mais aussi et surtout penser par soi-même. Dans cette configuration, l’enseignant peut dégager du temps pour accompagner un groupe restreint, pendant que l’IA devient un véritable assistant, à la fois sur les plans linguistique et culturel.

Quels ont été les résultats aux épreuves de fin de semestre ? Et quelles conclusions pouvez-vous en tirer ?
Une semaine après cette expérimentation, les élèves ont été évalués sur une production écrite portant sur le même thème. L’analyse de leurs copies montre une bonne réutilisation des données culturelles par l’élève ayant formulé une requête spécifique, ainsi qu’une correction notable des pronoms réfléchis chez l’élève 1.

Ces résultats viennent donc démontrer un intérêt pédagogique réel de l’utilisation raisonnée et éclairée de l’IA dans le cadre du travail sur la production écrite. L’IA semble permettre aux élèves d’acquérir des connaissances culturelles transférables et sourcées et de mettre en lumière les principales erreurs propres à chaque élève. Cependant, cette utilisation doit impérativement être précédée d’un temps de formation des élèves, portant sur les enjeux de la pensée autonome, l’importance de la formulation des prompts et la nécessité d’un usage réfléchi de l’outil. Mettre en lumière l’impact écologique de l’IA peut également renforcer l’idée que chaque requête doit être formulée de manière pertinente, évitant ainsi les interactions inutiles. À l’ère de l’intelligence artificielle, l’esprit critique de l’élève devient une compétence essentielle. Un travail en classe de langue autour de ces enjeux apparaît donc fondamental.

L’enseignant devra, en cohérence avec la formation dispensée, rester vigilant à ne pas recourir à l’IA de manière systématique ou sans réelle valeur ajoutée. Cet outil ne doit être mobilisé que lorsqu’il apporte une plus-value pédagogique claire au service des apprentissages.
La différenciation pédagogique constitue, à mon sens, l’un des contextes les plus pertinents pour un usage réfléchi de l’IA. Elle permet, notamment en production écrite au lycée, d’améliorer significativement les apprentissages en tenant compte des besoins spécifiques de chaque élève.

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